Bienvenue dans Theorygram

La fabrique Instagram des mèmes philosophiques

Uptowns
15 min readAug 1, 2022

En septembre 2021, Gucci lançait, sous l’impulsion créative d’Alessandro Michele, sa campagne publicitaire Aria, qui mettait à l’honneur la collection dévoilée quelques mois plus tôt à l’occasion du centenaire de la marque. Inspirée par le vestiaire Balenciaga et le style anticonformiste de son directeur artistique Demna Gvasalia, cette collection hybride, qui se présentait comme un « hacking lab d’incursions et de métamorphoses », tentait de figurer une nouvelle forme de dialogue entre les deux maisons, tout en juxtapositions inattendues et en pollinisations croisées, empruntant à la fois au langage visuel du cut-up et à l’esthétique du détournement.

Sur l’un des visuels de la campagne, on peut apercevoir la mannequin Kristen McMenamy allongée lascivement dans un canapé bordeaux, une jupe à paillettes multicolores autour de la taille et un exemplaire de Simulacres & Simulation négligemment déplié sur le sol. S’il est évoqué dans le communiqué de presse de Gucci, au même titre que Walter Benjamin, Sigmund Freud, Judith Butler ou encore Jean-Luc Nancy, le choix de Jean Baudrillard n’est pas anodin : avec Roland Barthes, il est probablement l’un de ceux qui a le mieux décrypté le langage de la mode. « Dans la mode, les signifiés se défilent, et les défilés du signifiant ne mènent plus nulle part » écrivait-il en 1976 dans L’Échange symbolique et la mort. On pourrait également citer cet aphorisme, tiré de Cool Memories : « Ce qui passe de mode entre dans les mœurs. Ce qui disparaît des mœurs ressuscite dans la mode ».

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les ouvrages de Baudrillard font irruption dans le paysage pop-culturel. Simulacres & Simulation avait déjà été glissé par les frères/sœurs Wachowsky dans les mains de Neo/Keanu Reeves dans le premier volet de la trilogie Matrix (2000), un film dont l’esthétique et le propos reposent en grande partie sur les théories radicales du philosophe français. Dans Hacker de Michael Mann (2015), c’est Le Système des Objets qu’Hathaway, le personnage incarné par Chris Hemsworth, feuilletait dans sa cellule de prison entre deux séries de pompes et de tractions, comme s’il se préparait tant bien que mal à faire face à l’immatérialité des menaces dirigées contre lui.

Mais à la différence de ces deux exemples — et au-delà du clin d’œil et de son aspect meta –, l’allusion à Baudrillard dans la campagne de Gucci s’effectue dans un contexte où le discours théorique n’a jamais été aussi en vogue sur les réseaux sociaux.

Elle a d’ailleurs fait l’objet d’un certain nombre de relais et de commentaires au sein de cercles crypto-philosophiques sur Twitter et Instagram — au même titre que la photo de la robe d’AOC à l’édition 2021 du MET Gala, sur laquelle on pouvait lire « Tax the Rich » en lettres rouge sang, relayée sur son compte Twitter avec pour seul commentaire la plus fameuse des citations de Marshall McLuhan : « The Medium is the Message ».

De « Theory Twitter » à « Theorygram », focus sur les micro-communautés et les subcultures qui tendent à transformer le discours théorique en objet esthétique.

De Theory Twitter à Theorygram

C’est paradoxalement via Twitter, il y a environ un an, que j’ai commencé à m’intéresser à cette petite communauté Instagram connue sous le nom de Theorygram, en tombant, au hasard de mes pérégrinations digitales, sur un mème du compte @Beyond_Woke_and_Problematic (!), dont j’avoue avoir eu un certain mal, au premier abord du moins, à déchiffrer le sens.

C’était le genre de mème un peu trop meta pour moi, que je n’arrivais pas à situer politiquement — dont je ne parvenais pas à savoir s’il était de droite ou de gauche, ironique ou sarcastique, inoffensif ou subversif, alt-right ou post-left, bref un mème resté suffisamment obscur pour attiser ma curiosité d’ethnographe des contrées digitales. La profile pic du compte (une image de Gilles Deleuze avec des yeux lasers tenant dans la main une pilule jaune) ainsi que celle du header (une photographie de Greta Thunberg portant un ciré jaune, figurant devant la cabane de Theodore Kaczinsky aka Unabomber, dans le Montana) auraient pourtant dû me mettre la puce à l’oreille — sans parler de la bio (« Nomadic shitposter wandering the body of the earth »). Il n’en fût rien, tous ces signes ajoutant encore un peu plus à la confusion générale et maintenant le propos dans une sorte d’ambivalence idéologique, une zone grise ouverte aux interprétations les plus diverses.

Si l’exploration verticale de la TL de @Beyond_Woke_and_Problematic ne s’est pas avérée beaucoup plus signifiante sur le coup, son activité sociale au fil des jours m’a en revanche permis de découvrir une petite constellation de comptes plus ou moins adjacents, qui se suivaient, se retweetaient et se likaient les uns les autres, faisant, en quelque sorte et pour ainsi dire, « communauté ». Très vite, des profils aux pseudonymes ultra-référencés comme Yung Agamben, Yung Lacanian, Baby Baudrillard, Baudrillard Wanabee, Heghoulian, Heygirlian, Hegel the Bagel, Senator Kantian Leninist ou encore Skrrt Vonnegut sont apparus, dessinant un regroupement hétéroclite d’individus anonymes, tous réunis autour d’un amour commun pour les mèmes absurdes, les fulgurances vernaculaires et la pensée théorique. Je venais de découvrir « Theory Twitter ».

Il n’est pas aisé de définir précisément ce qu’est « Theory Twitter ». Contrairement aux idées reçues, un certain nombre de communautés ne sont pas solubles dans des hashtags. A l’inverse du très sérieux #AcademicTwitter, qui réunit le monde de la recherche académique et de ses subdivisions (#AnthroTwitter, etc.), « Theory Twitter » (appelé aussi parfois « Philosophy Twitter ») ne se définit ni ne se revendique que rarement comme tel : ici, les hashtags sont des coquilles vides, signe que les discussions se passent souvent ailleurs, hors des sentiers balisés, loin des formules toutes faites et des expressions creuses qui chercheraient à les circonscrire et par là-même à en épuiser le sens. Theory Twitter est avant tout une communauté nébuleuse et informelle, articulée autour d’un petit agrégat de comptes, souvent des super posters, qui définissent à eux seuls les règles et les contours de cette arène numérique de libres-penseurs en roue libre.

Si les mèmes philosophiques ne sont pas un fait culturel particulièrement nouveau (le subbreddit r/PhilosophyMemes a été fondé en 2012 et réunit 103K membres), bon nombre de mèmes qui circulent dans Theory Twitter cherchent à établir des corrélations entre références philosophiques et culturelles plus ou moins obscures, à faire entrer la philosophie en résonance avec une certaine tonalité de la culture internet, à des fins qui ne sont bien souvent autres qu’humoristiques.

Cet exercice connaîtra son quart d’heure de gloire warholien le 11 novembre 2021, avec le mème Netflix: X is Y, qui verra toute une série d’acteurs plus ou moins hors-jeu transformés en philosophes de renom, à l’instar de Dwayne « The Rock » Johnson prenant le rôle de Michel Foucault (un mème très certainement à l’origine de la création du compte Twitter Every Bald Guy Is Actually Foucault).

Ce n’est finalement que dans un second temps que je me suis rendu compte que @Beyond_Woke_and_Problematic, au-delà de ses affinités électives sur Twitter, avait également une déclinaison Instagram, non moins prolifique et bien plus connectée : autour de son profil gravitaient des comptes empruntant majoritairement leurs pseudonymes à des philosophes morts, comme @fakebaudrillard, @fakekierkegaard, @fakehegel, @dank_hegel, @dankdeleuze, @deleuzeanddragons, @diogenessbarrel — voire dans certains cas à des intellectuels (@fakeklossowski), théoriciens (@fakemarkfisher), artistes (@fakeandywarhol) ou encore humoristes (@fakejerryseinfeld), là encore décédés, exception faite du dernier. Voilà pour la petite histoire et la façon dont j’ai basculé un jour de juin 2021, dans cet espace non-euclidien, ce portail mémétique aux dimensions multiples auto-baptisé « Theorygram ».

Politigram, Islamogram, Theorygram

Avant d’essayer de définir ce drôle d’objet sémiotique, il me semble important de rappeler que cette communauté d’initiés s’inscrit dans la continuité de ce que le chercheur et artiste américain Joshua Citarella a appelé, dans une étude ethnographique URL qui a fait date depuis sa première publication en 2018, « Politigram » — soit cette subculture très active sur Instagram (et Discord) et entièrement consacrée à la création de mèmes politiques (plus ou moins) radicaux.

Selon Citarella « chaque idéologie politique à laquelle on est susceptible de penser s’épanouit et se mémifie sur Politigram », qui « est un refuge autant pour les idéologues que pour les trolls ». Ces derniers « se délectent d’ajouter autant de préfixes et de suffixes que possible à leurs idéologies », ce qui peut parfois donner l’impression qu’« il y a autant d’idéologies que de membres de Politigram ».

Cette hyper-fragmentation est également perceptible sur des plateformes comme Reddit, où gravitent des micro-communautés intersectionnelles de niche, comme les veganarchistes (r/vegananarchism, 19.8K membres), qui croisent « libération animale et révolution sociale », ou encore les plus confidentiels « anarchistes taoïstes » (r/TaoistAnarchists, 611 membres), qui fusionnent une « compréhension occidentale et simplifiée du taoïsme » avec « les codes esthétiques de l’anarchisme en ligne ». Sur Twitter, un compte comme @UrbanMaoism témoigne également de cette volonté de provoquer tout en unifiant les contraires. Des plateformes vidéos comme YouTube et Twitch constituent également des relais efficients. Avec ses 228K abonnés, le YouTubeur Jonas Čeika entreprend un important travail de vulgarisation et réussit à mobiliser des communautés de fans puissantes, en faisant le pont entre philosophie et pop culture, là où la chaîne ASMRxist, plus confidentielle, propose des lectures d’ouvrages de gauche en chuchotant. De son côté, Joshua Citarella s’est lancé dans une série de marathons de plusieurs heures sur sa chaîne Twitch, dont l’une, intitulée Ideology Iceberg, a pour ambition prométhéenne de recenser et d’explorer l’ensemble des idéologies philosophiques et politiques.

Plus récemment, une étude du Pew Research Center a, faisant écho au travail de Citarella sans toutefois le citer, utilisé la notion d’Islamogram, pour qualifier l’émergence d’une frange salafiste d’Instagram adoptant les codes et le langage (esthétiques, visuels) de l’alt-right américaine.

Le multivers mémétique de Theorygram

Comme son nom le suggère, Theorygram pourrait être défini comme la portion d’Instagram dédiée à la philosophie et à la théorie critique. C’est aussi et avant tout un memescape, c’est-à-dire un paysage mémétique, où la philosophie (au sens large) sert littéralement de matière première à la confection de mèmes — et non l’inverse. Car il s’agit moins ici de convertir les foules au postmodernisme à grands renforts de mèmes que de convoquer les références philosophiques à des fins artistiques, pour porter plus loin encore l’art et la science du mème.

Souvent absurdes ou abscons, parfois triviaux ou potaches, ces mèmes frappent tout autant par leur vacuité que par la multiplicité des interprétations qui s’en dégagent, comme si, quelque part, la signification cherchait toujours à leur échapper. A la manière du mème « we live in a society », qui fait partie d’une culture internet repoussant toujours plus loin les limites de l’absurde, les objets qui circulent dans Theorygram se situent la plupart du temps au croisement de différentes sous-cultures mémétiques et ne font sens qu’à l’intérieur de ces espaces vernaculaires. Sans prétendre vouloir réaliser une cartographie exhaustive de Theorygram, on pourrait distinguer a minima trois sous-catégories assez représentatives de la physionomie de la communauté.

La première regroupe les fake auteurs, c’est-à-dire les comptes qui se présentent comme « fake », témoignant d’emblée d’un sens certain du trolling et de l’ironie, les personnes dont ils annoncent usurper l’identité ne pouvant être réelles. Prenant parfois la forme de simples catchphrases apposées sur une photo ou un portrait de l’auteur, leurs mèmes dénotent une posture auctoriale qui consiste à faire parler des philosophes morts, dans une sorte de dialogue cybernétique avec l’au-delà. Parmi les plus populaires, @fakebaudrillard, @fakehegel ou encore @fakemarkfisher assènent à l’internaute averti leurs fulgurances cryptées. Ici, le fake devient une catégorie du vrai.

La deuxième regroupe les amateurs de dank mèmes, une expression qui désigne à l’origine des mèmes un peu désuets ou démonétisés, ayant perdu leur valeur culturelle, revendiqués et réutilisés au sein de certaines sous-cultures pour parodier et se moquer de la culture des mèmes. Des comptes comme @dankdeleuze ou @dankhegel opèrent ainsi cette jonction impromptue entre philosophie conceptuelle de renom et esthétique visuelle bas-de-gamme.

Une troisième sous-catégorie, plus arty, pourrait être définie autour de profils comme @vitruviangrimace ou @deleuzeanddragons, des comptes qui, chacun à leur manière, s’attachent asseoir et à déployer une identité culturelle et esthétique forte, qu’on pourrait respectivement qualifier de néo-antique et de cyber-gothique.

Il y a également dans Theorygram une bonne part d’autoréférencement, soit une quantité non négligeable de mèmes qui ne cherchent rien d’autre qu’à définir — le plus souvent de manière ironique — ce qu’est (ou n’est pas) Theorygram. Cela participe chez les auteurs à l’affirmation de leur singularité éditoriale et témoigne de leur conscience d’appartenir à la communauté, dont ils n’hésitent pas, dans la plus pure tradition philosophique, à questionner l’existence : à la fois communauté informelle de mèmeurs et objet virtuel de métamèmes, Theorygram est avant tout un état d’esprit, moins un concept qu’une vibe, une esthétique plutôt qu’un lieu qui n’existe qu’à travers la pratique et le discours de ceux qui s’en réclament.

Se balader dans Theorygram, c’est l’impression d’être comme un personnage de Seinfeld, tentant de se frayer un chemin tout au long de ses 9 saisons et 180 épisodes, traquant la moindre bribe de sens dans un show qui ne parle de rien, une expérience aux confins de l’absurde et du non-sens qui n’a rien de plus à vous apprendre que ce qui se passe à l’écran.

Dans une analyse parue dans la Revue Nectart (n°13, été 2021), la sociologue des médias Divina Frau-Meigs définit le « cyber-baroque » comme l’esthétique — ou plutôt la tonalité ? –de nos usages numériques depuis le confinement, un « fait culturel total » :

« Les publics du cyber-baroque sont participatifs, hétérogènes, mondialisés. Dans le jeu de miroirs des écrans, ils ont besoin du regard des autres pendant qu’ils consomment les productions culturelles. Ils ne vivent pas en individus uniquement mais en collectifs, en communautés de fans qui créent autant de salons que nécessaire, jouant les chambres d’écho par leur capacité à amplifier et reposter. »

Selon elle, « Instagram est comme la métaphore même du cyber-baroque, instantané, éphémère, ménageant des interactions images/corps/écran ». La plupart des comptes affiliés à Theorygram ont été créés en avril 2020, en plein Covid : au-delà du cynisme et/ou du nihilisme, ils sont l’expression d’une angoisse existentielle, d’un existentialisme teinté de situationnisme 2.0, que la période pandémique, avec son lot de morts et de malades, aura fait ressurgir.

La dialectique comme esthétique

Georg Friedrich Hegel occupe une place à part dans Theory Twitter comme dans Theorygram. L’auteur de La Phénoménologie de l’esprit fait l’objet d’une aussi récente que curieuse popularité en ligne, à tel point qu’il a généré ses propres catégories, Hegel Twitter et Hegelgram. Le regain d’intérêt autour de Hegel a été particulièrement commenté en début d’année, avec un pic conversationnel autour du 10 janvier, après que le philosophe allemand se soit vu apparaître comme une tendance de carrière sur Twitter — un glitch qui pourrait trouver racine dans un tweet viral publié quelques jours plus tôt et revenant sur la « trajectoire professionnelle » du philosophe allemand.

S’en est suivie une discussion dans Theory Twitter pour tenter de comprendre la raison sous-jacente qui avait vu Hegel devenir subitement à la mode, générant son lot de hot takes et de mèmes, une question typiquement hégélienne qui pourrait trouver une réponse, en cette période d’incertitude généralisée, dans la volonté de revenir à la matrice des idéologies, de visualiser la partie immergée de l’iceberg, de découvrir ce qui se cache derrière le spectre du marxisme.

Comme Hegel Twitter, qui abrite les commentaires d’éminents spécialistes sur Theory Twitter, Hegelgram est un sous-ensemble de Theorygram. Lancé le 7 mars 2021 par le compte @dank_hegel, le hashtag agrège aujourd’hui un peu plus de 1500 publications. Si une bonne partie d’entre elles relèvent du shitposting, la mémification du philosophe allemand répond autant à un désir de vulgarisation qu’à une volonté de transformer la dialectique en objet esthétique.

Il y a actuellement un débat sur la place de la contre-culture sur les réseaux sociaux. Dans un article publié en mars 2021 sur Vogue UK, la journaliste Yomi Adegoke se demandait si Internet n’avait pas tué les subcultures, soulignant qu’elles « ne sont plus l’apanage de la contre-culture ». Pour Caroline Busta, co-fondatrice de New Models, « Internet n’a pas tué la contre-culture, mais vous ne la trouverez pas sur Instagram ». Annonçant la « mort des tendances », Terry Nguyen ajoute qu’avec TikTok, « les images et les attitudes subculturelles sont regroupées sous l’étiquette omniprésente et indéfinissable de “tendance virale” — quelque chose qui peut être démystifié, imité, vendu et acheté ».

Ces différents points de vue, complémentaires, sont vrais : ils mettent le doigt sur les ambiguïtés sémantiques entre ces deux notions et nous invitent plus largement à réinterroger leur relation avec la culture internet : nombre de subcultures digitales, à commencer par toutes les esthétiques en « core » et celles qui se retrouvent adossées à des hashtags, sont devenues de la culture à part entière (ce que chez Uptowns nous appelons des « micro-cultures ») ; la plupart des contre-cultures ont quant à elles quitté le web 2.0 pour ce que Yancey Strickler a appelé les « forêts noires » de l’Internet ou « dark forests » (en référence à la théorie de Liu Cixin dans sa trilogie sci-fi The Three Body Problem), un écosystème qui « se compose de serveurs Discord, de bulletins d’information payants, de Telegrams cryptés, de subreddits obscurs, de livestreams Twitch et de comptes OnlyFans », selon Alexi Gunner.

Ces assertions sont également fausses et Theorygram en est probablement l’un des meilleurs contre-exemples : une sous-culture numérique, qui n’existe que de manière informelle sur Instagram, dont elle subvertit l’algorithme et les fonctionnalités, est par essence contre-culturelle. On peut en effet supposer qu’au-delà de la nature des contenus et des messages qui y sont publiés, l’existence même telle d’une bulle de non-sens et d’absurdité sur Instagram est en soi une atteinte au dessein technologique et culturel de la plateforme.

Les mèmes sont la surface émergée des sous-cultures, une langue à la fois vernaculaire et véhiculaire, un mode de communication de niche et une nouvelle forme d’oralité visuelle, le point de rencontre entre underground et mainstream, entre subcultures et pop culture. Bien souvent, les mèmes cristallisent des tensions culturelles ou sont le symptôme de changements culturels plus vastes.

Dans un rapport intitulé The meme is the message, Taraneh Azar souligne que « les mèmes vont au-delà de l’humour en ce sens qu’ils sont les caricatures politiques, les pamphlets éducatifs et les graffiti du web ». D’après le manifeste #AltWoke, « les mèmes sont des idéologies distillées, reconditionnées et prêtes pour une distribution virale ».

Si les mèmes ne sont jamais neutres idéologiquement, leur signification est intrinsèquement liée aux plateformes sur lesquelles ils circulent : selon Taraneh Azar (reprenant McLuhan), « le mème en tant que support est le message ».

Début juin, Elon Musk repostait sur son compte Twitter un mème du compte @fakebaudrillard, après qu’un commentateur en ait suggéré l’idée, créant un véritable tollé au sein de la communauté : l’homme le plus riche du monde venait subitement d’exposer à ses quelque 102.3 millions d’abonnés l’une des subcultures les plus ésotériques du web.

Philippe Llewellyn, co-founder

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